Jules et La Luncheonette

Maman ne sera pas là ce midi.

Elle m’a dit que je ne vais pas pouvoir venir manger à la maison et qu’exceptionnellement − c’est le mot qu’elle a employé − je vais devoir aller dîner à l’extérieur. Elle m’a donné des sous pour aller manger au restaurant de mon choix mais il ne faut pas qu’il soit trop loin de l’école.

Je sais déjà où je vais aller. À La Luncheonette ! La Luncheonette c‘est un snack bar que je vois à tous les jours sur le chemin de l’école. Mon ami Pierre, qui aime beaucoup aller au restaurant, y va parfois avec son père. Moi, je n’y suis jamais allé et je rêve de ce jour depuis toujours.


Ce matin, donc, je suis parti à l’école avec mes sous. Sur mon chemin, je suis passé devant La Luncheonette et je lui ai envoyé la main.

– On se voit ce midi ! ai-je dit au petit restaurant.

Arrivé à l’école, je me suis assis à mon pupitre. Impossible d’écouter la maîtresse. Je n’arrête pas de penser à La Luncheonette. Dans ma tête, j’additionne des frites et je conjugue le verbe manger. Je mange des hot dogs, tu manges des hamburgers, il mange…

Lorsque la cloche de l’école a sonné, tous les élèves de l’école sont sortis dans la cour de récréation. En tenant très fort mon petit sac de sous dans ma main, je suis sorti en premier de la classe, j’ai dévalé les escaliers pour arriver le plus vite possible dans la cour d’école.


– Hé Jules ! Où vas−tu comme ça ? m’a demandé Érik.
– Pas le temps ! À tout à l’heure ! lui ai-je répondu.

J’ai couru, couru, couru.

Arrivé devant La Luncheonette, je me sens tout heureux. Depuis le temps où je rêve d’y aller!

Je suis tout fier de pousser la grande porte et de faire sonner sa petite clochette. À l’intérieur, il y a tout plein de monsieurs et de madames qui discutent ou qui lisent le journal en mangeant. Ça sent bon les frites, le steak haché qui cuit, les saucisses et le vinaigre.


Je regarde le menu affiché au-dessus du comptoir dans un tableau lumineux. Mon cœur bat très fort. On y voit des photos des différents combos offerts.

Le combo n° 1 : c’est une frite, un hot dog et une boisson gazeuse format moyen, le n° 2 : une frite, un hamburger et une boisson gazeuse format moyen, le n° 3 : une grosse frite, deux hot dogs et une boisson gazeuse format jumbo… – Il y a 8 combos en tout.

Je trouve un tabouret libre au comptoir et je m’assoie.

La madame habillée avec le costume orange de La Luncheonette se retourne vers moi, me donne un grand menu dans une enveloppe de plastique et me dit :

– Bonjour mon grand, qu‘est-ce que je peux te servir aujourd‘hui ?

Je la regarde dans les yeux – elle a de grands yeux bleus plein de maquillage noir et bleu avec des brillants –, et je lui fais le plus grand des sourires. En essayant de ne pas me tromper, je lui dis :
– Un hot dog moutarde−relish−ketchup avec des frites, madame.

J’adore les hot dogs moutarde−relish−ketchup et mes frites bien dorées avec du sel, du vinaigre et du ketchup. Beaucoup de ketchup.

– Veux-tu boire quelque chose avec ça?, me demande-t-elle en sortant de sa poche son stylo et son petit calepin.
– Oui, une boisson gazeuse à l’orange.
– Un n°1! Ça va être tout, mon beau?
– Oui, avec du ketchup, du sel et du vinaigre, s’il vous plaît, madame.
– C’est tout devant toi. Ça ne sera pas long, je te prépare ça.

Je suis tout seul au comptoir et je suis tout heureux ! Je prends le journal qui est à côté de moi, je tourne les pages sans les regarder. C’est plutôt les monsieurs et des madames autour de moi que je regarde. Ils ont toutes sortes de visages, de cheveux, de nez, de vêtements.

J’écoute leurs conversations mais je ne sais pas de quoi ils parlent. La madame en orange m’apporte un grand verre de boisson gazeuse à l’orange avec des glaçons et une paille qui flotte et essaie de sortir du verre.

J’observe aussi le restaurant. Il y a des cartes postales encadrées de paysages avec des palmiers et de vielles photos de joueurs de hockey avec des signatures dans le temps où ils jouaient sans casque.

En regardant derrière le comptoir, à travers les verres, les tasses et les assiettes, je vois le cuisinier dans sa cuisine qui prépare mon hot dog et mes frites. J’attends, assis au comptoir comme les autres clients, sans rien dire.

La madame habillée en orange apporte mon assiette en me disant :
– Tiens! Tu vas voir, ça va être bon!
C’est vrai que c’est bon! Avec plein de ketchup sur le côté de mon assiette pour tremper mes frites… En plus, il me reste tout juste assez de sous pour un bol de pouding au riz et laisser un petit quelque chose à la madame en orange.

Je retourne à l’école, tout heureux d’avoir enfin mangé à La Luncheonette.

Mais arrivé devant l’école, je suis tout étonné de ne rien entendre et de ne voir personne. Je m’approche. J’ouvre la grande porte principale. Je suis dans le grand corridor de l’école et toutes les portes des classes sont fermées. Toutes, sauf une, derrière moi. Je me retourne. Le directeur est là, debout, devant son bureau.


– Où étais-tu, Jules? On t’a cherché partout!

Je rougis.

– Bien… Je suis allé dîner à La Luncheonette… Maman m’a donné des sous…
– L’heure du dîner, c’est dans une demi-heure, Jules! Retourne en classe! Je vais prévenir tes parents que tu es rentré pour ne pas qu’ils s’inquiètent.

J’étais parti durant la récré !

À midi, la cloche du dîner a sonné. Pour vrai cette fois.

J’ai encore faim. Je retournerais bien à La Luncheonette… mais je n‘ai plus de sous!

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